Muhammed Wisam Sankari, qui s’est réfugié il y a un an en Turquie pour fuir la guerre en Syrie, a été tué parce qu’il était homosexuel. Son corps a été retrouvé décapité et horriblement mutilé, jeudi, dans le centre d’Istanbul. Ses amis n’ont pu l’identifier que grâce au pantalon qu’il portait.

Si l’homosexualité est légale en Turquie, l’homophobie y est très répandue. «Les crimes de haine sont très communs, ils ne sont généralement pas reportés par les autorités et les responsables sont rarement poursuivis», relève Yildiz Tar, membre de Kaos GL, une association LGBTI (lesbiennes, gays, bisexuel-le-s, transgenres et intersexué-e-s). Rien que l’année dernière, l’organisation avait comptabilisé cinq meurtres et 32 attaques.

«Plus la visibilité des LGBTI augmente, plus l’homophobie augmente. Ils sont peut-être vus comme une menace pour les personnes qui veulent "protéger" les valeurs familiales, explique Idil Engindeniz Sahan, assistante de recherche à l’université Galatasaray à Istantul. Comme nous vivons sous un gouvernement qui souligne cette protection, ce n’est pas surprenant de voir une certaine légitimation de l’homophobie.»

«Battu et violé»

Muhammed Wisam Sankari a également souffert de son statut de réfugié syrien. «La Turquie n’est pas un endroit sûr pour eux. Ils doivent vivre sans argent, sans abri, ils n’ont aucun soutien, ils ne savent pas quoi faire dans un pays dont ils ne connaissent même pas la langue. C’est comme n’être rien, et c’est encore plus difficile si vous êtes un réfugié LGBTI, témoigne Yildiz Tar. Wisam a dû faire face à de réelles menaces et personne n’a entendu sa voix avant qu’il ne soit tué.»

Le réfugié ne se sentait plus en sécurité depuis longtemps. Il était régulièrement pris à partie dans la rue et voulait quitter Istanbul. Cinq mois plus tôt, il avait déjà été kidnappé et violé, selon le témoignage à Kaos GL de ses amis. «Ils l’avaient emmené en voiture dans une forêt où ils l’avaient battu et violé, a raconté Ryan, son colocataire, à l’association. Ils allaient le tuer mais il a eu la vie sauve en se jetant sur la route.» Ses proches avaient alerté la police, sans qu’elle ne réagisse.

Précédents

Cette fois, une enquête a été ouverte mais le militant Yildiz Tar a peu d’espoir qu’elle aboutisse. «Il y a déjà eu des crimes haineux et les tueurs n’ont jamais été arrêtés. Ce fut le cas d’Ahmet Yildiz. Il avait été tué en 2008. Un meurtre commandité par son père qui ne supportait pas son homosexualité. Ils n’ont toujours pas trouvé le tueur», s’indigne-t-il.

Les amis de Muhammed Wisam Sankari craignent aujourd’hui pour leur vie. «J’ai très peur. J’ai l’impression que tout le monde me regarde. J’ai été enlevé deux fois, s’est inquiété l’un de ses amis, qui se fait appeler Diya, auprès de Kaos GL. Qui me protégera ? Qui sera le prochain ?»

Estelle Pattée